Communiqué de presse

ALMA détecte la présence de vastes réservoirs cachés de gaz turbulent dans de lointaines galaxies

La toute première détection de molécules de CH+ au sein de lointaines galaxies à formation d’étoiles offre un aperçu de l’histoire de la formation stellaire de l’Univers

30 août 2017

ALMA a permis de détecter la présence de réservoirs turbulents de gaz froid autour de lointaines galaxies à formation d’étoiles. La découverte inédite de la molécule CH+ autorise l’étude, sous un angle nouveau, d’une époque critique de la formation stellaire au sein de l’Univers. La présence de cette molécule éclaire la façon dont les galaxies parviennent à prolonger leur phase d’intense formation stellaire. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Nature.

Une équipe pilotée par Edith Falgarone (Ecole Normale Supérieure et Observatoire de Paris, France) a utilisé le Vaste Réseau (Sub-)Millimétrique de l’Atacama (ALMA) pour détecter les signatures de la molécule d’hydrure de carbone CH+ [1] au sein de lointaines galaxies à formation d’étoiles [2]. L’équipe a identifié les signaux forts de la présence de CH+ dans cinq des six galaxies étudiées, parmi lesquelles figure le Cil Cosmique [3]. Cette nouvelle étude livre des informations permettant de mieux comprendre le processus de croissance des galaxies ainsi que l’influence de l’environnement galactique sur la formation stellaire.

“Le CH+ est une molécule particulière. Sa formation requiert une grande quantité d’énergie et son importante réactivité se traduit par une courte durée de vie et donc l’impossibilité d’être transportée sur de longues distances. La molécule de CH+ révèle les flux d’énergie au sein des galaxies et de leur environnement” explique Martin Zwaan, astronome à l’ESO, qui contribua à l’étude.

Afin de comprendre le rôle de révélateur que joue la molécule de CH+ vis à vis des flux d’énergie, considérons l’analogie suivante : un bâteau navigue sur l’océan tropical par nuit noire, sans Lune. Dans de bonnes conditions, le plancton fluorescent peut s’illuminer au passage du bateau. La turbulence générée par le bateau sillonnant l’eau excite le plancton – en d’autres termes, leur lumière révèle l’existence d’une eau sombre plus profonde ainsi que la présence de zones turbulentes. Parce que la molécule de CH+ ne se forme qu’en de petites zones de dissipation des mouvements turbulents de gaz, sa détection permet de tracer les flux d’énergie à l’échelle galactique.

Les observations de CH+ révèlent l’existence d’ondes de choc de densité élevée alimentées par des vents galactiques chauds et rapides issus des régions galactiques de formation stellaire. Ces vents parcourent la galaxie et en expulsent la matière. Toutefois leurs mouvements turbulents permettent à une partie de cette matière de se retrouver piégée par l’attraction gravitationnelle de la galaxie. La matière s’assemble alors pour former de vastes réservoirs turbulents de gaz froid de faible densité, qui s’étendent à plus de 30 000 années lumière de la région de formation stellaire de la galaxie [4].

“Le traçage de la molécule de CH+ nous apprend que l’énergie est stockée au sein de vents puissants à l’échelle galactique et donne lieu à des mouvements turbulents au sein de réservoirs jusqu’alors inconnus de gaz froid situés en périphérie de la galaxie” précise Edith Falgarone, l’auteur principal de cette nouvelle étude. “Nos résultats questionnent la théorie de l’évolution galactique. En acheminant la turbulence dans les réservoirs, ces vents galactiques étendent la durée de la phase de formation stellaire au lieu de l’interrompre.”

L’équipe a établi que les seuls vents galactiques ne suffisaient pas à reconstituer les réservoirs de gaz nouvellement découverts et suggère que l’apport de masse résulte de processus de fusion ou d’accrétion galactiques de flux de gaz cachés, conformément aux prédictions théoriques actuelles.

“Cette découverte offre une importante clé de compréhension du processus de régulation des flux de matière qui s’écoulent au sein des galaxies de l’Univers jeune caractérisées par une intense formation stellaire”, conclut Rob Ivison, Directeur de la Science à l’ESO et co-auteur de l’étude. “Elle témoigne des formidables résultats auxquels peut parvenir une équipe pluridisciplinaire de chercheurs au moyen de l’un des télescopes les plus puissants au monde.”

Notes

[1] Le CH+ est un ion de la molécule CH que les chimistes nomment methylidyne. Elle est l’une des trois premières molécules découvertes dans le milieu interstellaire. C’était au début des années 1940. Depuis lors, la présence de CH+ dans l’espace interstellaire est demeurée un mystère : cet ion est extrêmement réactif en effet et disparaît donc beaucoup plus rapidement que tout autre.

[2] Ces galaxies sont caractérisées par des taux de formation stellaire bien plus élevés que ceux des galaxies calmes telle que la Voie Lactée. Ces structures sont donc idéales pour comprendre le processus de croissance galactique ainsi que l’interaction entre le gaz, la poussière, les étoiles et les trous noirs qui occupent les centres galactiques.

[3] ALMA a permis d’obtenir le spectre de chaque galaxie. Un spectre est un enregistrement de la lumière issue d’un objet astronomique par exemple, décomposée en différentes couleurs (ou longueurs d’onde), tout comme les gouttes de pluie dispersent la lumière pour former un arc en ciel. Parce que chaque élément est doté d’une “signature” unique, les spectres peuvent être utilisés pour établir la compositon chimique des objets observés.

[4] Ces réservoirs turbulents de gaz diffus semblent être de même nature que les halos géants lumineux qui entourent les quasars distants.

Plus d'informations

Ce travail de recherche a fait l’objet d’un article intitulé “Large turbulent reservoirs of cold molecular gas around high redshift starburst galaxies” par E. Falgarone et al., à paraître au sein de l’édition du 30 août 2017 de la revue Nature.

L’équipe est composée de E. Falgarone (Ecole Normale Supérieure et Observatoire de Paris, France), M.A. Zwaan (ESO, Allemagne), B. Godard (Ecole Normale Supérieure et Observatoire de Paris, France), E. Bergin (Université du Michigan, Etats-Unis), R.J. Ivison (ESO, Allemagne; Université d’Edimbourg, Royaume-Uni), P. M. Andreani (ESO, Allemagne), F. Bournaud (CEA/AIM, France), R. S. Bussmann (Université Cornell, Etats-Unis), D. Elbaz (CEA/AIM, France), A. Omont (IAP, CNRS, Sorbonne Universités, France), I. Oteo (Université d’Edimbourg, Royaume-Uni; ESO, Allemagne) et F. Walter (Institut Max Planck dédié à l’Astronomie, Allemagne).

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Ce texte est une traduction du communiqué de presse de l'ESO eso1727.

A propos du communiqué de presse

Communiqué de presse N°:eso1727fr-be
Nom:Cosmic Eyelash
Type:Local Universe : Galaxy : Activity : Starburst
Facility:Atacama Large Millimeter/submillimeter Array
Science data:2017Natur.548..430F

Images

Vue d’artiste du gaz alimentant les galaxies lointaines à formation d’étoiles
Vue d’artiste du gaz alimentant les galaxies lointaines à formation d’étoiles
Le Cil Cosmique vu par ALMA
Le Cil Cosmique vu par ALMA

Vidéos

Zoom sur le Cil Cosmique
Zoom sur le Cil Cosmique